6000 km en 100 jours, de l'Atlantique au Pacifique
Great American Horse Race et Pony Express Race
par Anne Caumont, d’après la conférence de Lothar Weiland,
à Toul le 2 Novembre 1998.
Carte illustrée de la la route du Pony Express Route en 1860
par William Henry Jackson
~ Courtesy the Library of Congress ~
Eté 1975, à la terrasse d’un café de Sarrebruck. Lothar Weiland, coiffeur de son état et cavalier à ses heures, discute avec Claus Becker, éleveur de Chevaux Islandais. Linda Tellington, bien connue aujourd’hui, leur a proposé de participer à une traversée des Etats-Unis à cheval. Deux étudiants américains, qui avaient traversé à cheval les Etats-Unis du Nord au Sud, se proposent d’organiser une traversée d’Est en Ouest sous forme de course individuelle et par équipe en une centaine d’étapes : ce sera la "Great American Horse Race". Bien sûr, cela leur plairait ! Qui dirait le contraire ?
En décembre suivant, Claus demande à Lothar et à quelques autres s’ils sont toujours d’accord et provoque une petite réunion. La décision est difficile à prendre, mais ces mordus du cheval islandais ne résistent pas longtemps et leur objectif est vite défini : monter une équipe européenne pour participer à la course avec des chevaux islandais.
Les obstacles sont classiques : le temps et l’argent. A Noël, nos cavaliers sont à Genève pour rencontrer l’ambassadeur d’Islande. Il s’agit de demander la participation financière de l’Islande pour un projet qui va mettre un coup de projecteur sur la race. Quelques temps plus tard, l’équipe est à Copenhague pour soutenir son projet. Et c’est parti, la Chambre d’Agriculture d’Islande ayant donné son feu vert. Les cavaliers islandais sont bien un peu jaloux, mais il faut compter deux ans pour qu’un cheval exporté d’Islande soit acclimaté au continent et en pleine possession de ses moyens, ce qui leur ôte tout espoir de participation (notamment à cause de la flore bactérienne et virale qui est très différente dans l’île et sur les continents, toute importation de chevaux vers l’île étant interdite depuis plus de 1000 ans).
Ce qui avait l’air d’un doux rêve quelques mois plus tôt se concrétise rapidement. L’équipe comprend 6 participants : Max Indermaur, suisse, qui tiendra un journal et en fera un livre (Der grosse Ritt), Walter Feldman, le plus célèbre cavalier allemand dans le domaine de l’équitation islandaise (depuis, champion d’Allemagne et champion du monde), Johannes Hoyos, autrichien, Claus Becker et sa femme Ullu, et Lothar. Un ami, Karl Hans Tritz, complète l’équipe pour assurer l’intendance, la cuisine, les soins et le transport des chevaux et du matériel. Pour financer son voyage, Lothar vend un de ses trois salons de coiffure. Les chevaux sont choisis sur des critères de santé et d’âge : dix ans minimum, la croissance chez cette race rustique prenant fin vers 7 ans. Chaque cavalier part avec deux chevaux, à l'islandaise (un cheval monté et un cheval en main) pour pouvoir les monter en alternance. Le cheptel, entraîné en Europe à partir du mois de février, est envoyé le 14 Mars aux Etats-Unis chez Linda, qui finira de les préparer. Les cavaliers se mettent eux aussi en condition : gymnastique, sauna, jogging, 2 à 3 heures d’équitation plusieurs fois par semaine…
Enfin le départ est donné le 31 Mai à Frankfort, New York.
Lothar a deux chevaux : son premier poulain, Whisky, et un pie, Prain.
La course est organisée par étapes de 25 à 85 km (en moyenne 50km), avec un classement à chaque étape et un classement général. Le rythme de marche est très étudié. L’équipe sur
les Chevaux Islandais, toujours suivie de son camion, marche le premier quart d’heure à pied, puis trois quarts d’heure au pas et au trot, puis une pause avec changement de cheval. Ensuite de
nouveau trois-quarts d’heure au pas et au trot, puis un quart d’heure au pas et une pause. Une heure de pause est obligatoire à la mi-journée, à un endroit fixé. L’après-midi se déroule selon le
même genre de schéma, les étapes sont couvertes en 6 à 8 heures.
Les allures latérales des chevaux islandais sont peu utilisées. En effet le tölt, qui demande un tonus du dos important, est plus fatigant pour le cheval que le trot où le dos est relâché. C’est une excellente allure de promenade ou de randonnée, mais sur une telle distance, les cavaliers préfèrent privilégier le repos du cheval et marchent au trot. Quant à l’amble, chez le cinq-allures il peut avantageusement remplacer le trot, c’est une allure très confortable pour le cavalier et économique pour le cheval car l’action est moins importante qu’au trot. L’amble ainsi utilisé en randonnée est appelé par les puristes "amble de cochon", et considéré comme indésirable par les cavaliers de compétition. Pour eux, l’amble est exclusivement une allure de course, qui se court sur 150 à 250 m à une vitesse très élevée (150 m en 19 s, ce qui est plus rapide que le galop).
Le contrôle vétérinaire est très présent : 5 contrôles par jour, dont trois fixes (le matin, à la pause de midi et une heure après l’arrivée du soir) et deux volants (spot check) en cours de matinée et en cours d’après-midi. Ce rythme est sévère mais il y aura très peu d’échec sur des critères vétérinaires.
Chaque équipe dispose de son intendance. Les " islandais " ont une remorque qui peut transporter les 15 chevaux et une autre pour tout le matériel de l’équipe.
Trouver un lieu d’étape était facile pour les deux cavaliers initiateurs du projet au cour de leur premier raid : ils étaient bien accueillis par les paysans qui étaient toujours
contents de recevoir deux cavaliers et de les envoyer chez des connaissances pour l’étape suivante. Mais il est nettement plus difficile de loger 107 cavaliers avec chacun 2 chevaux, l’intendance
de chaque équipe et l’organisation, soit en gros 200 personnes autant de chevaux. On imagine la surface nécessaire ! Le plus souvent ce sont des terrains de sport qui sont mis à contribution. Les
soirs du premier mois, les cavaliers, pas encore fatigués viennent de toutes les équipes rejoindre la joyeuse équipe des " islandais " pour chanter au son des guitares et boire du " lait de
jument ", un mélange de lait, whisky et sucre. Les orages impressionnants de l’ouest américain précipitent régulièrement tout le monde à l’intérieur.
De temps en temps à l’étape, l’équipe réalise une présentation d’allures en tenue officielle islandaise (veste bleue, culotte blanche et bottes noires), avec drapeaux islandais et saut de tables…
Un autre problème est d’ouvrir l’itinéraire au fur et à mesure. En effet, sur une telle distance il ne peut pas être question de reconnaître l’ensemble du parcours avant le départ. L’itinéraire est donc reconnu au fur et à mesure de l’avancée de la troupe. Au début du voyage, dans l’est, les terrains de sport sont faciles à trouver pour y faire étape mais il est difficile de trouver des chemins entre deux terrains et l’itinéraire emprunte beaucoup de route bitumée.
Concernant la maréchalerie, un maréchal ferrant accompagne la course, mais Lothar fait lui-même la maréchalerie de son groupe. Il faut dire que le ferrage des islandais est un peu particulier, les pieds sont petits et les techniques à adapter aux allures. Mais la course est fatigante à la longue, et ferrer le soir après l’étape finit par être éprouvant. Les chevaux sont re-ferrés en moyenne toutes les trois à quatre semaines. Un concurrent, qui ne voulait pas avoir à ferrer et s’exposer à des problèmes de maréchalerie, effectue toute la traversée avec deux paires d’easy-boots. Il doit simplement parer ses chevaux de temps en temps. Les vides entre corne et easy-boot sont remplis avec du gel de silicone pour empêcher la terre et le sable d’entrer et d’abraser le pied ou le contusionner et des vis positionnées transversalement dans la paroi maintiennent le tout. Avec cette option originale, il ne rencontre aucun problème de pied en trois mois et demi de traversée.
Les chevaux sont équipés de selles islandaises, qui sont de type selle anglaise adaptée à la randonnée, avec des patins prolongés.
La nourriture des chevaux est également de première importance pour les amener en bon état à l’arrivée : un kilo de granulés matin et soir, du foin à volonté, des vitamines et minéraux. Les américains, précurseurs en ce domaine comme en bien d’autres, proposent dès ces années-là une dizaine de pots de vitamines en poudre à leur cheval, qui choisit celles dont il a besoin et se sert à volonté. Ce type de pratique, aujourd’hui connu en endurance, est tout à fait nouveau à l’époque.
Le financement est le problème numéro un au cours de ce raid : en effet les organisateurs avaient prévu de financer l’opération par un film qui serait réalisé pendant la course. Pour cette raison ils ont refusé le sponsoring possible, voulant garder des images d’aventure et non des pancartes publicitaires. Mais au bout de trois jours de course l’équipe du film a abandonné le projet, pas assez "cinégénique" : les jours se ressemblant, le sujet manquait de sel à leurs yeux. L’organisation s’est retrouvée avec la course déjà en marche et moins de 60 000 $ en poche, soit de l’ordre de 500 $ par tête pour 4 mois de voyage. Or 50 000 $ étaient bloqués pour constituer les prix des 10 premiers à l’arrivée. Il restait donc 7 000 $ en tout et pour tout pour faire traverser les Etats-Unis à 180 chevaux et 200 personnes…
Arrivés à mi-chemin (Kansas City) aux alentours du 14 Juillet, dans ces conditions un peu difficiles, l’organisation de la course n’a plus d’argent. Le chef vétérinaire, ne pouvant passer plusieurs mois sans revenus, retourne à sa clinique. Deux vétérinaires restés dans la course proposent de suivre l’ancien itinéraire du Pony Express, qui partait de Kansas City pour rejoindre Sacramento, dont les stations existent encore. Pendant l’année et demie que le Pony Express a fonctionné (du 3 avril 1860 au 24 octobre 1861), le courrier parcourait les 2 000 km en 10 jours. Chaque cavalier montait une dizaine heures d’affilée et changeait de cheval (en une minute et demie) tous les 15 à 40 km selon le terrain. Ainsi naît la Pony Express Race. Un groupe de 40 cavaliers continue la Great American Horse Race, il arrivera jusqu’au Pacifique mais souffre des lacunes de l’organisation. L’autre groupe, contant 25 personnes, bifurque sur la Pony Express Race. L’équipe " islandais " se scinde également : Walter Feldman et Johannes Hoyos continuent sur le projet initial ; Lothar, les Becker et Max Indermaur choisissent le Pony Express. C’est un petit miracle si, malgré les lacunes de l’organisation, la traversée peut aller à son terme. Il faut dire que 80 % des cavaliers sont californiens, et tiennent à rentrer chez eux à cheval. C’est vraiment la volonté des cavaliers qui permettra à se projet d’aller jusqu’à son terme.
Toutes les races équines étaient admises sur la course, y compris les mules et les ânes. C’est une mule qui a gagné la Great American Horse Race (devant une huitaine de chevaux arabes, encore des mules, et les islandais en 13ème et 21ème position). Son cavalier Virl Norton, précurseur de l’endurance, élevait des chevaux arabes en Californie et les entraînait pour les louer pour des courses de 160 km en 24 h. Ce n’était donc pas un amateur en matière d’endurance. Mais pour la Great American Horse Race, il a dit "là, je prends mes mules". Il s’agit de croisements de juments avec des ânes de l’Arizona, qui sont très grands (environ 1,70 m). Son expérience de l’endurance lui a fait gérer sa course tout à fait différemment des autres cavaliers : il parcourait l’étape (en moyenne 50 km) en 3 heures, donc à un train soutenu, considérant que trois heures à ce train n’étaient pas éprouvantes pour ses animaux qui auraient ensuite 21 heures pour se reposer.
Au cours de la Pony Express Race, les modalités furent un peu différentes puisque le deuxième cheval pouvait être transporté en camion et le cavalier changeait de cheval à la pause de midi. Le chemin était reconnu la veille par un motard, qui le soir briefait les cavaliers sur le déroulement de la journée du lendemain.
Les cavaliers avaient des craintes concernant la résistance des chevaux islandais à la chaleur du Grand Ouest, d’autant que cet été 76 a été très chaud là-bas comme en Europe. Cependant les
poneys du cercle polaire ont très bien supporté la température, comme le reste des conditions du voyage d’ailleurs. Toutes les occasions étaient bonnes, comme en endurance, pour mouiller les
chevaux et si possible les faire entrer dans une rivière. Les islandais ont été premiers au classement vétérinaire de la Pony Express Race : ils n’ont simplement jamais eu besoin du vétérinaire,
ce qui illustre bien la résistance générale de ces chevaux.
L’itinéraire part de St Joseph, Missouri, tout près de Kansas City, traverse le Nebraska puis le Wyoming (Fort Laramie, Independence Rock, South Pass) pour redescendre vers l’Utah longer le Great
Salt Lake puis traverser les régions minières et les villes mortes de la ruée vers l’or (Virginia City, Nevada).
16 cavaliers sont à l’arrivée de la Pony Express Race, le 11 Septembre à Sacramento (Californie). Les dix premiers sont alternativement sur chevaux arabes et islandais. Lothar, 2ème à l’arrivée de la course (derrière Lory Stewart avec deux croisés arabes), remporte le
premier prix au classement vétérinaire. Au classement par équipe, les islandais se classent premiers.
La Great American Horse Race a été une expérience unique. La Pony Express Race a été reconduite l’année suivante. Ces courses ne pourraient plus être réalisées de nos jours, un des parcs traversés ayant servi depuis à des essais atomiques est désormais interdit.
Parmi les chevaux islandais, quatre sont revenus en Europe (dont deux étalons), les autres sont restés là-bas, le coût du transport étant extrêmement élevé (20 000 F par cheval, en avion).
Deux films retracent aujourd’hui cette épopée : l’un, réalisé aux alentours de Chicago par un reporter allemand, a été diffusé par la télévision sarroise ; l’autre, " Wild Westromantik im Sattel ", a été réalisé pour la première chaîne allemande par un globe trotter, Heinz Rox Schulz, qui a accompagné Pony Express depuis Salt Lake City jusqu’à Sacramento. Max Indermaur a publié un livre qui reprend son journal sous le titre " Der grosse Ritt ", il est toujours disponible mais n’a pas été publié en français.
Cette belle aventure a profondément marqué tous ceux qui ont eu la chance, le courage et la volonté d’y participer. Par la beauté des paysages traversés, par la rencontre et l’accueil des personnes rencontrées sur le chemin, par la coupure aussi qu’une telle expérience représente dans une existence et l’intensité de vie qu’elle suppose, ces courses resteront pour tous un grand moment.
Les Chevaux Islandais, quant à eux, ont démontré de belle manière leur parfaite aptitude au voyage et leur exceptionnelle résistance, dans des conditions pourtant fort éloignées de celles de leur île d’origine.